Atténuer les risques reliés aux projets énergétiques en intégrant l’eau dès le début

Auteurs et autrices: Rod Naylor, Matthew Brannock
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En bref

Au milieu de cette crise mondiale et multidimensionnelle, le secteur énergétique doit poursuivre sa décarbonisation rapide afin d’atteindre les objectifs de carboneutralité et d’atténuer les répercussions de plus en plus graves des changements climatiques

Au milieu de cette crise mondiale et multidimensionnelle, le secteur énergétique doit poursuivre sa décarbonisation rapide afin d’atteindre les objectifs de carboneutralité et d’atténuer les répercussions de plus en plus graves des changements climatiques

La place qu’occupe l’eau dans la transition énergétique

Dans un rapport d’étude récemment publié par GHD, 94 % des leaders du secteur de l’énergie croient que la crise énergétique actuelle est la plus grave que leur marché ait jamais connue. L’étude ONDE DE CHOC a révélé que le secteur de l’énergie affronte présentement trois chocs distincts, mais interconnectés : la sécurité, la société et le climat. 

Au milieu de cette crise mondiale et multidimensionnelle, le secteur énergétique doit poursuivre sa décarbonisation rapide afin d’atteindre les objectifs de carboneutralité et d’atténuer les répercussions de plus en plus graves des changements climatiques. Les risques reliés à l’eau se retrouvent au centre des trois chocs – la sécurité de l’approvisionnement en eau affecte la bancabilité de projets énergétiques, les chocs sur la société sont influencés par les changements dans l’utilisation de l’eau et les politiques qui l’entourent, et les risques climatiques sont associés aux sécheresses, aux inondations et aux tempêtes à la hausse. Il est d’une importance critique que le secteur énergétique comprenne les risques variés et complexes à affronter pour propulser la transition énergétique, incluant les répercussions croissantes des risques associés à l’eau.  

Pour bien réussir l’atténuation des risques associés à la transition énergétique, il faut que l’eau soit prise en considération, et ce dès le début du projet. L’eau et l’énergie se croisent à plusieurs points d’intersection critiques; par exemple, l’eau est essentielle à plusieurs formes de production d’énergie et est utilisée dans une vaste étendue de procédés de production. Bien que partie intégrante de la transition énergétique, l’eau a le potentiel de causer à la fois des répercussions positives et négatives sur les organisations énergétiques – pour les projets en énergie, l’eau peut être une question « de vie ou de mort ».

Les événements dus aux risques associés à l’eau et à son approvisionnement étant à la hausse à l’échelle planétaire, les entreprises et les projets en énergie doivent évaluer le niveau d’incertitude créé par les répercussions continues des changements climatiques sur les systèmes d’eau en fonction du risque à long terme et de la viabilité des investissements dans la décarbonisation. Les changements climatiques n’auront pas seulement des répercussions sur nos systèmes d’eau. La croissance de la population mondiale fait en sorte que la compétition pour les ressources en eau ne sera que plus féroce, créant des défis sociaux et environnementaux complexes et à long terme qui devront être pris en compte par les projets énergétiques afin que ceux-ci puissent demeurer viables tout au long de leur cycle de vie.

Les risques associés à l’eau sont complexes et multifacette, et ont des répercussions sur les communautés, les économies et les environnements. Pour le secteur de l’énergie, cela signifie des risques stratégiques, commerciaux, opérationnels et réputationnels. Afin d’évaluer et de gérer efficacement les différents risques posés par l’eau aux projets et aux entreprises, les projets énergétiques doivent tenir compte de deux facteurs épineux :

  1. l’accessibilité et la sécurité de l’eau, et
  2. la gestion des sous-produits ou des résidus de traitement des eaux.

Accessibilité : l’eau en tant qu’ingrédient essentiel

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De nombreux projets d’énergie renouvelable nécessitent un accès suffisant à l’eau pour être garants de réussite. L’hydrogène vert, par exemple, qui agit à titre de transporteur pour l’énergie renouvelable, a besoin d’importantes quantités d’eau pour à la fois la production et la gestion du refroidissement. Pour être dignes d’investissement, les projets en énergie doivent avoir un approvisionnement garanti en eau de type « haute sécurité ». Ce type d’approvisionnement en eau est dispendieux à garantir, ce qui pose problème puisque sans garantie, les banques et les investisseurs sont moins susceptibles de financer les développements énergétiques.

L’emplacement d’un projet est généralement déterminé en fonction de facteurs logistiques tels que l’accès aux lignes de transport d’énergie, aux ports et à une main-d’œuvre qualifiée. L’eau ne devrait pas être écartée dans la prise de décision. L’eau a le potentiel de faire dérailler des occasions d’affaires qui seraient, autrement, intéressantes, en particulier là où beaucoup d’utilisateurs et d’acheteurs d’énergie sont situés. Que l’eau devienne une erreur critique dans un projet énergétique ou non dépend de la situation locale en matière d’eau, qui diffère d’un projet à l’autre. Considérer l’eau dès le début du cycle de vie d’un projet facilitera l’identification d’erreurs critiques potentielles.

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Il est important de noter que les chiffres utilisés par Net Zero Australia sont basés sur l’eau de mer dessalée (10 L/kg H2) et non sur l’eau de mer à l’état brut, et ne prennent pas en considération le refroidissement. Nos chiffres se basent sur l’eau de mer à l’état brut et incluent le refroidissement, à 50 % par évaporation (53 L/kg H2) et à 50 % par refroidissement sec (26 L/kg H2), tous deux en recyclant une partie importante des flux de déchets, typiquement estimé à 40 L/kg H2. Un autre facteur important à considérer est que ces graphiques n’incluent pas l’utilisation de l’eau faite par les secteurs agricoles et municipaux, dont on prévoit l’augmentation au fil du temps.

À titre de comparaison, le graphique ci-dessous présente la consommation mondiale en eau par le secteur énergétique classée par combustible et par type de production d’énergie et illustre le scénario de carboneutralité pour 2021 et 2030.

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Lorsque de grandes quantités d’eau sont nécessaires, les projets énergétiques risquent d’être paralysés en raison de l’accès à l’eau et de sa disponibilité. Une attention particulière et hâtive portée à la collaboration avec les autorités et les services publics locaux chargés de l’eau contribuera à assurer que l’eau soit gérée de manière durable et qu’elle ne soit pas détournée au détriment des communautés et des industries locales, de l’environnement et des besoins culturels.

Les sécheresses prolongées, les inondations plus fréquentes et les tempêtes de plus en plus violentes font en sorte que la disponibilité de l’eau et l’accès à celle-ci sont incertains et moins fiables. Ces facteurs supplémentaires ont des répercussions sur la manière dont nous planifions nos projets. La production d’énergie nécessitant un volume d’eau important peut être affectée par la sécheresse et l’évaporation, par exemple des projets d’hydroélectricité et d’hydroélectricité par pompage, qui ont une importance critique pour le bouquet d’énergies propres de certaines régions. La diminution des précipitations peut réduire la disponibilité des sources d’eau de surface, tandis que les inondations peuvent affecter la qualité de l’eau. Pour faire face à ce risque, le dessalement de l’eau de mer et l’eau recyclée peuvent devenir des sources d’eau plus résilientes en termes de rendement et de qualité.

Or, les sources d’eau proposées en remplacement ne sont pas sans défis, et les répercussions sociales et environnementales potentielles peuvent mener à des délais d’approbation réglementaire allongés, causant un retard sur les projets. Le dessalement de l’eau de mer, par exemple, requiert des conditions marines appropriées et l’accès à un environnement océanique où les répercussions peuvent être gérées adéquatement. Le nombre de lieux pouvant fournir de l’eau de mer de bonne qualité avec un minimum de répercussions sociales et environnementales est limité.

Un autre facteur à considérer est l’influence des changements climatiques et des attentes sociales sur la bancabilité d’un projet. Les exigences croissantes en matière de déclarations sur le changement climatique et d’informations fournies par les entreprises aux investisseurs font en sorte que les risques climatiques doivent être évalués globalement et communiqués de manière transparente. L’eau est partie intégrante des exigences réglementaires d’une évaluation des risques et est essentielle pour que la quantification des risques climatiques fasse son entrée dans les marchés financiers.

Pour atténuer concrètement le risque économique, les projets énergétiques doivent tenir compte des tendances météorologiques changeantes et de l’incertitude climatique qui auront inévitablement une incidence sur la disponibilité de l’eau au fil du temps. En raison de ces implications et de ces facteurs de stress, les investisseurs examineront de près les risques climatiques à long terme et leurs effets potentiels sur le rendement futur.

Flux de déchets : gestion des sous-produits résultant de l’utilisation de l’eau

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Lorsque nous considérons comment planifier et gérer de manière efficace les sous-produits causés par l’utilisation d’eau pour la production d’énergie, l’hydrogène vert offre une piste de solution. L’eau utilisée pour la production d’hydrogène et pour les procédés de refroidissement peut générer des flux de déchets se classant en deux catégories :

  1. Les résidus solides, soit des impuretés solides qui ont été retirées de l’eau à l’état brut.
  2. Les flux de déchets salés, incluant les sous-produits issus du traitement d’une source d’eau saumâtre ou saline (par des procédés comme le dessalement) ou de la concentration d’un flux d’eau à l’état brut (par des procédés comme le refroidissement par évaporation).

Une stratégie de gestion des matières résiduelles réaliste, c’est-à-dire qui prend en considération la gestion, la diminution et l’élimination des déchets, ainsi que les problématiques de fin de vie, est essentielle pour la mise en branle de projets énergétiques. Historiquement, certains projets énergétiques ont échoué dans leur tentative de gérer adéquatement des flux de déchets hautement concentrés, créant des effets à long terme sur l’environnement pouvant mener à des conséquences néfastes.

De plus, en raison des risques croissants associés à l’eau, les projets en énergies du futur auront tendance à se tourner vers des sources d’eau potentiellement salée et plus complexes, laissant dans leur sillage des quantités importantes de sous-produits résiduels hautement concentrés. Pour atténuer ces risques, les projets énergétiques doivent prendre en compte et gérer soigneusement les flux de déchets afin d’éviter la dégradation de l’environnement ou la perte d’habitat.

Plusieurs projets énergétiques d’intérieur doivent composer avec une problématique courante : leur incapacité à déverser les flux de déchets salés directement dans l’environnement en raison des répercussions nocives encourues. Dans la vallée de Hunter, en Australie, le « Plan d’échange concernant la salinité de la rivière Hunter (Hunter River Salinity Trading Scheme) » limite la quantité de sels que les centrales électriques peuvent déverser en raison des conséquences environnementales associées. Ceci a entraîné une importante accumulation de sels résiduaires sur le site.

Un autre exemple est l’industrie de gaz de charbon, où le processus d’accès au gaz naturel fait monter de l’eau saumâtre à la surface. Bien que cette eau saumâtre soit habituellement dessalée dans le but de la valoriser, le processus complet entraîne une accumulation de sels à la surface. Pour ce qui est de la saumure, présentement entreposée et concentrée dans des étangs de centaines d’hectares, l’approche prévue par l’industrie est de cristalliser et d’entreposer les sels dans des sites d’enfouissement à perpétuité. 

Si l’on ne s’attarde pas aux flux de déchets dès les étapes de planification, il est probable que l’industrie de l’hydrogène doive affronter des défis semblables de gestion des effets à long terme sur l’environnement et sur les coûts futurs. En effet, il existe plusieurs approches viables à la gestion et à l’élimination des saumures qui sont moins propices à engendrer des conséquences négatives sur l’environnement, ayant ainsi le potentiel de contribuer à atténuer les risques de certains projets énergétiques. Ces approches peuvent inclure l’injection des eaux de gisement, l’évacuation mixte avec d’autres flux de déchets (comme les cendres volantes produites par les centrales électriques), le rejet dans l’océan et la récupération des ressources. Chacune d’entre elles présente des coûts, des risques et des enjeux qui doivent être abordés au cas par cas, en fonction de l’emplacement.

Un examen précoce et réfléchi est essentiel

Sans eau, plusieurs projets énergétiques ne verraient pas le jour. Les changements climatiques et la croissance de la population étant à l’origine d’une hausse dans la demande de ressources en eau déjà limitées, les projets énergétiques deviendront de plus en plus complexes et potentiellement incertains au cours des cycles de vie du projet et des investissements. Par conséquent, il faut intégrer l’eau dans les phases de faisabilité et de développement d’un projet afin d’en assurer le succès, d’atténuer les risques liés à la transition énergétique au sens large et d’atteindre les cibles mondiales de carboneutralité.

L’accès à l’eau et la sécurité de l’approvisionnement en eau sont essentiels à la bancabilité et à la gestion des actifs financiers de la plupart des projets énergétiques. Le coût du traitement, du transport et de l’élimination des déchets provenant des systèmes et de l’utilisation de l’eau est tout aussi important. Les projets énergétiques doivent choisir l’emplacement de leurs infrastructures en fonction de la quantité et du type d’eau disponible, du lieu et du type de traitement, ainsi que du lieu et de la méthode de gestion des sous-produits. 

Il est essentiel que les solutions à ces défis soient adaptées au contexte local et qu’elles soient développées en collaboration avec les communautés locales. La considération hâtive du rôle que joue l’eau dans les projets entourant les énergies du futur permettra aux entreprises énergétiques de mieux s’orienter parmi les risques complexes et variés associés à la transition énergétique, laissant derrière elles un héritage positif aux futures générations.

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